OPINION /

La flexibilité n’est plus une option

Par Cyril Champier | Paris, France, jeudi 14 août 2025

Résumé

  • La France devra disposer d’une flexibilité cinq fois supérieure d’ici 2050 pour son réseau renouvelable.
  • Les dépôts équipés de solaire, de véhicules électriques et de stockage pourraient en fournir environ 50 %.
  • La flexibilité est essentielle pour maintenir un réseau stable et fiable.

Pourquoi la flexibilité est essentielle aux énergies renouvelables

La transition vers un avenir entièrement décarboné et électrifié exige une transformation totale de nos systèmes énergétiques. Au cœur de cette mutation se trouve un concept autrefois périphérique, désormais central : la flexibilité.

En France, il faudra dans le futur cinq fois plus de flexibilité qu’aujourd’hui pour garantir un réseau électrique stable, résilient et économiquement viable. Explorons ce que signifie réellement la flexibilité, comment le système électrique français évolue entre 2000 et 2050, et pourquoi des choix simples, comme la gestion des dépôts de transport logistique, pourraient tout changer.

Qu’est-ce que la flexibilité ?

Si vous avez déjà fait “sauter les plombs” chez vous, vous avez touché du doigt un aspect du réseau électrique: l’égalité entre la production et la consommation d’électricité doit être maintenu en permanence. Sinon, le réseau perd l’équilibre, et disjoncte. A l’échelle d’un pays, cet équilibre doit être assuré à chaque instant, sous peine de black-out. Plus tôt cette année, l’Espagne n’a pas réussi à maintenir cet équilibre, pendant seulement quelques secondes, provoquant un effet domino qui a laissé le pays sans électricité pendant près de 12 heures.

  • La flexibilité de sauvegarde permet d’éviter ce genre de situation : il s’agit d’ajustements imprévus, à la seconde ou à la minute, pour éviter les coupures.

Mais l’équilibre ne se joue pas qu’à l’instant T. Il dépend aussi de l’échelle temporelle. La demande varie fortement entre le jour et la nuit, et encore plus entre l’hiver et l’été. Les soirées d’hiver sont les plus critiques : les gens rentrent, allument les chauffages, les lumières, les fours, et la demande explose. Construire des capacités de production capables d’absorber ces pics reviendrait à surdimensionner le système pour des événements rares. Certains réacteurs nucléaires ne fonctionneraient alors que quelques jours par an pour couvrir ces pointes de consommation.

  • La flexibilité stratégique répond à ce défi : elle repose sur des ajustements planifiés, suivant des schémas prévisibles, de l’heure à la saison.
La flexibilité est (la variation volontaire) (de la seconde à la saison) (de la production ou de la consommation) (pour équilibrer la charge du réseau).
La France en 2000 : Un réseau contrôlé et inertiel

En l’an 2000, le système électrique français reposait sur un modèle centralisé et pilotable. Les moyens de production (centrales nucléaires, hydroélectriques ou à charbon) utilisaient tous de grandes turbines tournantes, des machines physiques en rotation continue. Ces masses en mouvement continuaient à tourner même si un déséquilibre survenait soudainement. Par exemple, en cas de panne sur une ligne, l’inertie mécanique freinait la chute du réseau, offrant ainsi au système quelques secondes précieuses pour réagir.

Le nucléaire assurait une stabilité inertielle, et une puissance modulable de 40 à 100 %, et des arrêts de maintenance prévus en été. L’hydraulique permettait des ajustements rapides notamment grâce aux STEP (Stations de Transfert d’Énergie par Pompage), et offrait une capacité de stockage massive. Les centrales à carburants fossiles comblaient les manques. Même les consommateurs participaient : les industries acceptaient de s’arrêter en cas d’urgence, et les particuliers utilisaient l’électricité en heures creuses, grâce aux incitations tarifaires.

La flexibilité était essentiellement intégrée dans l’infrastructure de production :

  • Flexibilité de sauvegarde : l’inertie des turbines maintenait la stabilité, et la puissance pouvait être ajustée en quelques minutes.
  • Flexibilité stratégique : la production était planifiée pour s’adapter de quelques jours à plusieurs saisons.
La France en 2025 : Un système en transition

Deux tendances fortes se sont imposées depuis 20 ans : la montée en puissance des énergies renouvelables et la diffusion des véhicules électriques (VE).

Si l’infrastructure héritée est encore en place, et si les indicateurs globaux sont proches de ceux de 2000, la croissance exponentielle de ces deux phénomènes transforme rapidement le paysage.

Par exemple, l’an dernier en France, à cause des excédents solaires en après-midi, les prix spot de l’électricité sont devenus négatifs pendant 4 % des heures, on payait donc les gens pour consommer de l’électricité !

La France en 2050 : verte… et instable ?

D’ici 2050, tout va changer. Selon les scénarios comme Futurs Énergétiques 2050 de RTE, le système électrique sera radicalement transformé : dominé par les énergies renouvelables, avec les véhicules électriques représentant près de 25 % de la consommation.

Le système ne reposera plus sur le contrôle centralisé ou des machines tournantes. Il sera structuré par les renouvelables. Le nucléaire sera réduit, l’hydraulique inchangé, et les énergies fossiles auront disparu. C’est vert, c’est vrai.

Mais c’est très risqué. Sans turbines, le réseau perd son inertie naturelle. Le solaire et l’éolien ne stabilisent pas le réseau comme le faisaient les grandes machines. Il faudra donc quatre fois plus de flexibilité de sauvegarde, pour réagir rapidement aux imprévus et éviter les coupures. Et comme la production renouvelable suit la météo, pas les besoins humains, il faudra six fois plus de flexibilité stratégique journalière et annuelle pour décaler la consommation et la production dans le temps.

Le nucléaire ne joue plus son rôle central. L’hydraulique ne peut pas croître davantage. Les stabilisateurs d’hier ont disparu. Les batteries stationnaires ou les tarifs heures pleines/heures creuses ne suffisent pas.

Sans nouvelles solutions, le réseau de 2050 sera certes vert, mais instable.

Le pouvoir caché des dépôts

Ce qui se passe à l’échelle des dépôts reflète ce qui arrive au réseau. La réglementation pousse fort : ces sites s’équipent de panneaux photovoltaïques (PV) et de flottes de véhicules électriques (VE). En France, on compte plus de 4 000 dépôts, couvrant près de 100 000 m² de toitures. S’ils sont mal gérés, ils risquent de déséquilibrer le système :

  • Jusqu’à 10 GW de production solaire à midi, quand le réseau est déjà saturé
  • Puis 10 GW de recharge VE à 19H, quand la demande est déjà au pic

Ce désalignement génère de l’instabilité, de l’inefficacité, et des coûts supplémentaires. Les dépôts censés verdir le système pourraient gravement le fragiliser.

Mais imaginons un autre scénario, avec une intégration intelligente des BESS (batteries de stockage d’énergie), EMS (systèmes de gestion énergétique) et V2G (Vehicle-to-Grid). Les dépôts deviennent alors des hubs énergétiques actifs et flexibles :

  • Stockage de l’énergie solaire dans le BESS en journée, évitant les pertes
  • Injection d’énergie depuis le BESS et les véhicules pendant le pic de demande du soir, soulageant le réseau
  • Recharge des véhicules durant la nuit, quand l’électricité est abondante
  • Fourniture de flexibilité de sauvegarde en continu, en réponse aux fluctuations

Contrairement aux VE dispersés chez les particuliers, les dépôts sont centralisés, prévisibles et pilotables : parfaits pour devenir des actifs énergétiques. On ajoute un conteneur de batterie, un logiciel de pilotage… et une incitation financière pour le gestionnaire de flotte. Les camions créent de la valeur, même à l’arrêt.

Et l’impact est immense : la flexibilité des dépôts pourrait fournir jusqu’à 50 % des besoins du réseau français en flexibilité d’ici 2050.

Dépôt du Futur

Contrairement aux VE dispersés chez les particuliers, les dépôts sont centralisés, prévisibles et pilotables : parfaits pour devenir des actifs énergétiques. On ajoute un conteneur de batterie, un logiciel de pilotage… et une incitation financière pour le gestionnaire de flotte. Les camions créent de la valeur, même à l’arrêt.

Et l’impact est immense : la flexibilité des dépôts pourrait fournir jusqu’à 50 % des besoins du réseau français en flexibilité d’ici 2050.

Le système électrique français de 2050 ne sera pas une évolution des années 2000 : ce sera une nouvelle créature, alimentée par le vent et le soleil, déséquilibrée par leur intermittence, et bouleversée par les véhicules électriques. La même chose se produira dans tous les pays qui passeront des turbines générant du courant alternatif aux renouvelables générant du courant continu.

Selon RTE, pour faire fonctionner ce nouveau système, il faudra cinq fois plus de flexibilité.

Mais heureusement, il n’y a pas besoin de tout réinventer. Parfois, la solution se cache dans les angles morts, comme les dépôts de transport logistiques. Avec les bons outils et les bonnes stratégies, ils peuvent offrir une flexibilité massive, et contribuer à construire un système électrique propre, résilient et durable.

Pour une électricité décarbonée, la flexibilité n’est plus une option.


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